« La Fortune des Rougon » de Emile Zola (Les Rougon-Macuart #1)

Dans la petite ville provençale de Plassans, au lendemain du coup d’Etat d’où va naître le Second Empire, deux adolescents, Miette et Silvère, se mêlent aux insurgés. Leur histoire d’amour comme le soulèvement des républicains traversent le roman, mais au-delà d’eux, c’est aussi la naissance d’une famille qui se trouve évoquée : les Rougon en même temps que les Macquart dont la double lignée, légitime et bâtarde, descend de la grand-mère de Silvère, Tante Dide. Et entre Pierre Rougon et son demi-frère Antoine Macquart, la lutte rapidement va s’ouvrir.
Fiche Technique
- Titre original: La Fortune des Rougon
- Auteur: Emile Zola (1870-1902)
- Année de publication: 1871
- Pays: France
- Genre: Fiction
- Nombre de pages: 475
Quatrième de couverture
Dans la petite ville provençale de Plassans, au lendemain du coup d’Etat d’où va naître le Second Empire, deux adolescents, Miette et Silvère, se mêlent aux insurgés. Leur histoire d’amour comme le soulèvement des républicains traversent le roman, mais au-delà d’eux, c’est aussi la naissance d’une famille qui se trouve évoquée : les Rougon en même temps que les Macquart dont la double lignée, légitime et bâtarde, descend de la grand-mère de Silvère, Tante Dide. Et entre Pierre Rougon et son demi-frère Antoine Macquart, la lutte rapidement va s’ouvrir.
• Avis •
★★★★☆
___Publié en feuilleton entre juin 1870 et octobre 1871, « La fortune des Rougon », introduit les personnages fondateurs de la fresque sociale imaginée par Zola. Une entreprise vaste et ambitieuse, dans la lignée de la comédie humaine de Balzac, que l’auteur bâtira sur deux décennies, s’appuyant pour chaque ouvrage sur des travaux préparatoires considérables et en proposant une lecture aussi inédite que passionnante de la société du second Empire (1852-1870).
___Présenter aux lecteurs les origines de la lignée des Rougon-Macquart est donc l’un des principaux enjeux de ce premier tome. Adélaïde Fouqué, héritière d’une famille de maraîchers prospère, épouse à la mort de son père et à la stupéfaction de la ville, Rougon, un simple paysan qui travaillait pour sa famille. Ensemble ils ont un fils, Pierre. Lorsqu’un an après la mort subite de son mari, elle prend pour amant un contrebandier ivrogne et paresseux dénommé Macquart, les habitants de Plassans condamnent avec la plus grande sévérité l’existence dissolue du couple qui ne cherche même pas à « sauver les apparences ». Deux enfants naissent de cette liaison hors mariage : Antoine et Ursule. Les trois enfants « poussent librement », dans une liberté totale et quasiment livrés à eux-mêmes : « [Adélaïde] laissa croitre ses enfants comme ces pruniers qui poussent le long des routes, au bon plaisir de la pluie et du soleil. Ils portèrent leurs fruits naturels, en sauvageons que la serpe n’a point greffés ni taillés. Jamais la nature ne fut moins contrariée, jamais petits êtres malfaisants ne grandirent plus franchement dans le sens de leurs instincts ». Devenus adultes, les trois frères et sœurs prennent des chemins différents, chacun évoluant au gré des traits de caractère dominants hérités de leurs parents selon les lois de l’hérédité. Alors que Pierre développe un attrait pour le pouvoir et la domination, Antoine hérite de la tendance à l’ivrognerie et au vagabondage de son père Macquart. Quant à Ursule, elle sombre dans la folie, à l’instar de sa mère, Adélaïde qui enchaîne à intervalle régulier les crises nerveuses. Page après page, l’arbre généalogique des Rougon-Macquart prend ainsi bientôt forme, déployant ses branches à mesure que de nouveaux noms fleurissent. Ce n’est pas moins de trois générations que nous présente Zola, prenant le temps de nous livrer pour chacun de ses personnages une biographie succincte permettant au lecteur de les ancrer dans le récit.
___Les destinées des personnages se mêlent à la grande Histoire dans ce premier volet foisonnant qui englobe le coup d’Etat de Napoléon III en décembre 1851. Situant son action au cœur de Plassans, une sous-préfecture fictive du Midi, Zola décrit l’insurrection républicaine en province et ses conséquences sur le destin de toute une famille. Il y a les vies broyées, sacrifiées sur l’autel d’une République agonisante, à l’instar de Silvère et Miette, amoureux maudits dont les destins funestes ne résistent pas aux appétits de loups dénoncés par Tante Dide, sorte de Cassandre à la clairvoyance prophétique. Zola introduit déjà les grandes thématiques conductrices de son œuvre : l’aspiration au pouvoir et l’appât du gain de cette «famille de bandits à l’affût, prêts à détrousser les évènements ». En fin observateur de son siècle, il dissèque et décrit les luttes fratricides de ses personnages. Ses qualités de journaliste et sa rigueur méthodique imprègnent autant son style que sa narration. Il décrit les intrigues qui se jouent en coulisse, dénonçant au passage les manipulations du clergé pour tuer la République, ainsi que l’hypocrisie de la bourgeoisie et de la noblesse désireuses de préserver quoi qu’il en coute leurs intérêts.
___Zola met ainsi habilement en place les principaux protagonistes de ce drame en devenir, prenant soin d’en esquisser les grands traits en vue d’en explorer la psychologie dans de futurs romans. On devine que l’auteur prépare déjà la suite de sa saga, se projetant au-delà de ce tome introductif. Grand nombre des futures thématiques sont déjà annoncées : l’alcoolisme de Fine puis de Gervaise, les appétits de jouissance d’Eugène, l’intrigant Aristide, attentiste désireux de toujours se mettre du côté des vainqueurs. La curée (thème central du tome suivant) est d’ailleurs explicitement annoncée à la fin du roman au moment où, la République assassinée, le fieffé opportuniste vient renifler les morts tel un chien de chasse. Zola évoque aussi la cupidité et la fourberie d’Antoine Macquart qui rêve de se venger de la société et des Rougon. Convaincu d’avoir été spolié par son frère sur la part d’héritage qui aurait dû lui revenir, il rumine sa haine et ne recule devant aucune bassesse pour tenter de rallier Silvère à sa cause et d’en faire l’instrument de sa vengeance.
___En dépit de la tragédie et des turpitudes qu’il décrit, Zola parvient à instiller une ironie savoureuse dans ses portraits. Sous sa plume, la bassesse des instincts bascule facilement vers le ridicule. A l’instar de Pierre Rougon qui alterne les moments de grande flagornerie avec des angoisses de petits garçon (jusqu’à aller se cacher chez sa mère au moment critique), se rêve en homme providentiel puis s’embourbe dans ses mensonges qu’il finit par croire lui-même. Son épouse Félicité, fourbe et manipulatrice, n’échappe pas non plus aux sarcasmes de Zola. Arriviste qui ne recule devant aucune intrigue, cette ersatz de Lady Macbeth, intimement persuadée de descendre d’un marquis, rêve de « faire un jour crever d’envie la ville entière par l’étalage d’un bonheur et d’un luxe insolents ». C’est pour assouvir cette ambition qu’elle épouse (par calcul et non par amour) Pierre Rougon. Elle voit dans cette union un pari sur l’avenir, un homme à manœuvrer, capable de « porter avec aisance et gaillardise le monde d’intrigues qu’elle rêvait de lui mettre sur les épaules. ». Après l’échec de leur entreprise commerciale, c’est sur leurs enfants qu’elle reporte ses spéculations. Depuis leur salon jaune, devenu le centre réactionnaire qui rayonnait sur Plassans, les yeux tournés vers la maison du receveur Peirotte, elle conserve ses espérances de fortune.
___Dans ce paysage de désolation et ce kaléidoscope de personnages pathétiques, il y a aussi des exceptions. A commencer par le jeune Silvère, adolescent plein de fougue et d’idéaux, prématurément fauché par le destin. Recueilli par Adélaïde (tante Dide), il eut pour cette grand-mère excentrique une affection et une reconnaissance sincères et un respect religieux. Sa courte existence semblait se tracer sous le signe de la résilience. Pas vindicatif (il est persuadé que la Providence se chargera de punir les gens malhonnêtes), travailleur, indépendant, grand lecteur de Rousseau, il développa une passion irraisonnée pour la République. A l’écart de l’agitation et du monde, le « docteur Pascal » observe quant à lui le délitement de sa famille. Alter ego romanesque d’Emile Zola lui-même, il est l’exception qui fait mentir les lois de l’hérédité et le seul à entrevoir l’avenir de sa famille. Sa droiture d’esprit, sa bienveillance et sa vie sobre contrastent avec le reste de sa famille. Considéré comme un excentrique et un original, désavoué par ses parents qui lui reprochent son manque d’ambition, il ne pourra malheureusement pas sauver Miette et assistera impassible à la chute de la République.
___Véritable roman des origines, « La Fortune des Rougon » retrace tout autant l’ascension d’une famille de province que les viles manigances à l’œuvre d’un succès déjà entaché par le sang et le crime. Le triomphe de Pierre Rougon, qui atteint sa première consécration avec la remise de la légion d’honneur que lui a obtenue son fils, annonce déjà un flamboiement d’or et de sang promis à conduire la famille à sa perte et que Zola explorera au cours de ses prochains romans. Véritable prophétesse de cette décadence annoncée, la folle tante Dide, dévastée par la mort de Silvère dont elle juge sa progéniture responsable leur lance au cours d’une ultime crise une terrifiante malédiction : « C’est vous qui avez tiré ! cria-t-elle. J’ai entendu l’or… Malheureuse ! je n’ai fait que des loups… toute une famille, toute une portée de loups… Il n’y avait qu’un pauvre enfant, et ils l’ont mangé ; chacun a donné son coup de dent ; ils ont encore du sang plein les lèvres… Ah ! les maudits ! ils ont volé, ils ont tué. Et ils vivent comme des messieurs. Maudits ! maudits ! maudits ! ». La conquête du pouvoir et de l’argent est engagée.